ROD BARTHET : Les filles à l'écoute (2014)

Titles :
01. Pour Nos Enfants
02. Marche Arrière
03. Dimaggio
04. Les Filles à L’écoute
05. Gaby Oh Gaby
06. L’amour C’est Pas
07. Esthetique
08. Bienvenue Sur Terre
09. La Fête à San Francisco
10. I’m A Lucky Man
11. Marius

Personnal :

- Rod Barthet (chant, guitare)
- Joe Gore (guitare)
- Michaël Urbano (batterie)
- Kevin T. White (basse)
- Fred Maggi (piano)

Rod Barthet n'a pas encore en France la notoriété qu'il mérite. Pourtant ce bluesman éclectique a déjà eu le temps de prouver sa valeur, tant de ce côté-ci de l'Atlantique que dans la région de San Francisco où il a pu croiser la route de quelques bluesmen connus comme Harvey Mandel (Canned Heat) ou Jim Guyett (bassiste de John Lee Hooker) et où il a même eu le privilège d'être adoubé par « M. Boom Boom » en personne lors d'un entretien resté mythique pour les fans de Franche-Comté, car il est originaire de cette région. D'ailleurs, à propos de Franc-Comtois, les plus branchés de nos lecteurs auront peut-être noté sa participation il y a 18 mois environ au « Travelin' Man » des Truckers.

Si je compte bien, Rod nous propose avec Les filles à l'écoute son sixième album. Voilà une galette qui commence étrangement par un titre dont on sent qu'il tient à cœur de l'interprète mais qui fera se tenir les côtes des plus cyniques des auditeurs, car, surtout depuis les événements de janvier dernier, on est un peu dans le « rêve sidéral d'un naïf idéal », peuplé de bonnes intentions, mais avec une candeur au premier degré qui séduira les plus « bisounours » tout en agaçant les moins utopistes. Bref, ce « Pour nos enfants » musicalement irréprochable risque, paradoxalement, d'entretenir les controverses. L'époque est-elle encore aux rêveurs ?

Alors intéressons-nous au reste de la galette, car l'ambiance change bien entendu du tout au tout dès que Boris Bergman reprend la plume, de la ballade désabusée « Marche Arrière » à « Esthétique », blues-rock plus épais qui ramone vigoureusement sur des paroles « sur le fil » et bénéficie d'un solo-électrochoc aussi bref qu'efficace. Et là, la grande majorité tombera d'accord sur les grandes qualités du bluesman franc-comtois, qui nous livre là une suite de titres fort agréables à l'écoute, remplis de clins d’œil sympathiques à ses références comme Bo Diddley sur « Dimaggio », qui a aussi des relents « gainsbouriens » à la « Osez Joséphine ». Le bassiste Kevin T. White, qui a servi en son temps le maître du « jungle beat », a dû se sentir très à l'aise sur ce titre et y apporte la crédibilité de ses références. Rien à voir avec la perle qui suit, « Les Filles à L’écoute » une ballade traînante très bluesy, très bergmanienne aussi, mais qui glisse comme un bonbon acidulé auquel on deviendrait vite addictif. Un vrai tube si les radios veulent bien s'apercevoir du potentiel de ce titre. Pour le moment, ce n'est hélas pas gagné ! Mais écoutez-le et laissez-vous emporter par ce feeling doux-amer. Dans ce disque aux musiques très diversifiées, on appréciera aussi le côté country-blues-rock de « L’amour C’est Pas » qui pulse avec entrain.

On n'oubliera pas la reprise intelligente et bien foutue du célèbre « Gaby », toujours Bergman mais version Bashung, qui colle particulièrement bien à Rod... A moins tout simplement que ce soit le talent qui lui permette de s'approprier avec tant de justesse cet ancien tube toujours pertinent, malgré quelques bruits aquatiques qui me font irrésistiblement penser à « Octopus Garden », le morceau de bravoure de Ringo dans Abbey Road. La plume retourne entre les mains de Rod qui signe avec « Bienvenue Sur Terre », une ode à la paternité sur fond joyeusement country-rock, un titre positif très acoustique et servi par un piano électrique lumineux, où on sent toute l'humanité du musicien, et que n'aurait pas renié le regretté Jay Jay Cale. Très sympa. Entre rhythm'n'blues et west-coast, le voyage se poursuit avec «  La Fête à San Francisco », très réussi, avant un plus funky «  I’m A Lucky Man » qui swingue agréablement sur un texte en anglais (c'est le seul de l'album).

L'album se termine officiellement par « Marius », un instrumental acoustique très country strié de grands traits de bottleneck, remettant à l'honneur les racines de notre musique, et là Rod nous montre que son art ne sort pas de nulle part. Et on se surprend à dire “Déjà ?”. Eh oui, on aurait bien pris un billet longue distance, mais les meilleures choses finissent par se terminer. Et cet album sensible recèle assez de richesses pour qu'il soit inclus parmi les excellents objets musicaux de ces derniers mois. Alors laissez-vous tenter...
Y. Philippot-Degand